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16 décembre 2018 à 17:53

Viens, je vais te conter Florets

A tous ceux qui s’esclaffent de l'énorme faute commise dans dans le titre, bien que je puisse en faire régulièrement par hâte et/ou inattention, patience, c'est bien intentionnel. Je vais conter fleurette à personne, encore moins à mon acolyte de cordée. Je vais plutôt vous conter Florets, ou plus exactement, notre traversée de l'arête des Florets, sur l'un des sites emblématiques de la grimpe en France, j'ai nommé les Dentelles de Montmirail. Curiosité géologique chère à mon enfance, que j'ai pu lorgner du regard au quotidien, et que je prends aujourd'hui encore plus de plaisir à admirer, comme s'il fallait s'éloigner des choses pour en apprécier d'avantage la teneur.

Vous l'aurez compris, je connais très bien ce massif, que ce soit à pied ou à VTT, mais finalement assez peu en escalade, discipline ou je suis encore en pleine crise d'adolescence. Lors d'un récent séjour en terre d'enfance, l'idée me vient d'aller les contempler d'un peu plus haut, plus précisément en arpentant les arêtes de cette masse calcaire au nom délicat.

Nous sommes au début du mois de décembre, l'hiver et la rudesse de ces  températures pointent le bout de leur nez. Pas franchement la saison pour envisager une partie  de grimpe en extérieur. Le Sud offre des températures plus clémentes, à condition de ne pas tomber  sur un jour de Mistral. Et Dieu sait qu'il est souvent de la partie dans cette région, le bougre. Je propose donc cette sortie à Damien, dans le cadre de la section club alpin. Il accepte tellement facilement, que j'en ai un doute quant à son étude des conditions annoncées. En effet, le mercure devrait avoisiner les 5° C, ce qui est bien maigre pour pratiquer l'escalade. De plus, le vent est également annoncé, pas non plus un allier pour s'attaquer à une course d'arête. Je lui demande s'il a donc bien vu la météo, et me répond que nous  verrons bien le jour J. Les prévisions évoluent, le Mistral semble s'effacer, mais la température pas franchement plus élevée. Je me pointe chez Damien à 7h30, comme prévu, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il caille dehors avec -4° C dans le fond du vallon de Pierrageai. Pas franchement d'alternative à proposer, Damien persiste et signe, nous prenons la direction du Sud.

Nous empruntons l'autoroute à Tain l'Hermitage, juste après un levé de soleil des plus sympathiques dans la descente du coteau viticole. Quelques frimas de gilets jaunes encore en mouvement nous obligeront à sortir à Montélimar Nord, et donc se farcir le trafic de ceux qui vont au boulot. Mais après, c'est la grande campagne, et nous arrivons somme toute assez rapidement au lieu de notre sortie. Un petit arrêt à la boulangerie quelques kilomètres avant, où nous ne nous refusons pas un petit croissant, histoire de faire un peu de gras pour affronter le grand froid. En effet, le thermomètre n'a pas fait une franche ascension, et flirte avec les 3° C, ce qui est relativement peu. Nous commençons à émettre une hypothèse de remplacement, avec une balade pour faire le tour des caves. Des caves, il n'en manque pas dans cette région, et ce n'est pas la commune de notre stationnement qui dira le contraire, le célèbre Gigondas. Pour le coup, des degrés, il y en a bien dans les cuves par ici, le chaud soleil gorge les grappes de sucre pour un nectar des plus corsé. Un peu trop peut être dans le cadre d'une tournée des caves, où l'accumulation des verres à ballon pourrait bien faire exploser celui des bleus. Et si nous envisageons d'être ambitieux, les Vacqueyras, Beaumes de Venise, Rasteau et autres Cairanne voisins seraient synonyme d'attentat pour notre foie, et de provocation envers les autorités locales.

Revenons à la dure réalité des choses, le breuvage du jour ne sera pas du tout élevé en degrés, le parking annonçant seulement 2,5° C. Je propose à Damien de partir du village, histoire de s'échauffer un peu en montant à pied, cela ne fera pas de mal. Et il ne faut pas faiblir pour s'attaquer à ce petit massif escarpé. La pente est dure, et l'organisme monte vite en température. Nous nous élevons au dessus de cette mer de ceps effeuillés pour affronter les longs mois d'hiver. La route bétonnée laisse place à une piste, puis à un sentier bien raviné en cette sortie de saison des épisodes cévenols.

Nous arrivons enfin au but de la journée, les Dentelles de Montmirail se dressent fièrement devant nous, comme une barrière infranchissable, stoppant tout sur son passage, y compris le puissant Mistral, offrant ainsi une situation de choix pour le Muscat de Beaumes qui saura accompagner à merveille le foie gras pour une valse gustative. Les fêtes sont bientôt là, les gourmandises de circonstance se font peu à peu désirer.

Nous voici enfin au pied de l'arête. Nous sommes à un petit col qui nous permet d'apprécier la chaleur des rayons du soleil du versant opposé. La vue est déjà panoramique sur la plaine viticole que nous venons de traverser pour arriver ici, et sur celle du Comtat Venaissin au Sud, avec pour limite naturelle  le Mont Ventoux que nous n'apercevons pas encore et le Luberon en toile de fond. Nous y sommes, et il faut bien envisager de s'attaquer au plat de résistance. La chaleur du Dieu Hélios nous encourage, voir nous rassure. Damien part en tête, le premier passage est tout de suite épicé, puisque c'est l'un des plus durs de la journée. Il annonce une fraicheur minérale au toucher du caillou. Je le laisse évoluer dessus, et sa rapidité n'augure pas trop de difficultés. J'attends le dernier moment pour m'équiper des chaussons, histoire de préserver mes petons du froid. Tout de suite, un espèce de rocher horizontal avec une arête saillante est à franchir, et quelques mètres de vide en dessous. Rien de trop méchant, mais voilà de quoi mettre à rude épreuve mon équilibre, sans échauffement. Je trépigne, ne sachant trop comment franchir ce premier obstacle, et me résigne à le passer à califourchon sur les conseils de Damien. Derrière, la première véritable paroi verticale. Je bute rapidement, et la froideur du rocher m'engourdit à vitesse grand V les doigts, m’ôtant toute sensibilité tactile. Cela en devient même rapidement désagréable.Je sens alors assez mal la suite des opérations si on commence ainsi. Je monte  comme je peux, les doigts complètement anesthésiés. Au relais, le soleil du versant Sud fait un bien fou et permet de se réchauffer rapidement.

Derrière, changement de pente puisqu'il faut redescendre par un premier rappel. Pour le coup, j'ai les souvenirs assez frais après la galère du mois dernier pour redescendre de l'arête du Gerbier dans le Vercors. Ce qui ne m’empêche d'être fébrile pour cette première manip, et de m'y reprendre à deux voir trois fois, n'ayant pas bien fermé le mousqueton. La descente est assez courte et se fait sans encombre. S'en suit une nouvelle escalade dans une fissure somme toute facile, ce qui me convient bien pour se mettre dans le bain et compte tenu de la froideur  hivernale. Damien monte aisément, je le suit sans trop d'encombres. Je prends la tête sur la partie plus plane qui se succède. Ce passage s'apparente plus à de la rando alpine qu'à de l'escalade, ce qui me permet de repratiquer la pose de relais en longue voie. Cela ne sera pas  du luxe, puisque je ferais pas la manipulation comme il faut. Heureusement, il n'y avait rien de difficile pour Damien ici, et pas de besoin capital d'assurage.

Un nouveau rappel est à effectuer, prouvant  ici s'il en était besoin, l'origine étymologique du nom de cette falaise. Dentelles comme une succession de masses calcaire entrecoupées de failles obligeant des montées et descentes permanentes. Damien me fait  poser ici le rappel sur une corde sans dédoublement. J'avoue ne plus me souvenir de l'intérêt de cela, mais je m’exécute. L'arrivée du  rappel est acrobatique sur une arche. J'y vais à tâtons, histoire de bien atterrir  sur le dessus. Mon équilibre mis à mal par la tension de la corde à laquelle je suis pendue me donnera un peu de fil à retordre pour atteindre l'autre côté de l'arche et ainsi pouvoir m'accrocher, dans un premier temps avec les  mains, puis dans un second en me vachant. Damien suit sans soucis pour me retrouver. Il reste concentré pour effectuer sa manipulation de corde tout en restant en sécurité permanente. Sans cela, c'est la dégringolade.

Nous voici à nouveau parti dans la suite des opérations. Je repars en tête. Une petite vire très facile permet de s'échapper de l'arche. Un nouveau pas d'escalade est à franchir en versant Sud. La chaleur du soleil est fort appréciable et rend la balade des plus agréables, contrairement à ce que nous aurions pu redouter. Je cherche un peu mes prises dans cette nouvelle paroi, et trouve la solution au bout de quelques minutes. Une trouée dans la roche laisse entrapercevoir le relais à atteindre de l'autre côté. Il faut passer par dessus pour s'assurer derrière le piton rocheux. Rien de très compliqué,  mais la hauteur et le vide rendent l'entreprise plus périlleuse. Je prends cette fois ci mon temps pour faire ma manipulation de relais correctement avant de donner le feu vert à Damien. J'ai pas forcément fait les choses de façon très ergonomique, mais c'est fait correctement niveau sécurité, et est bien là l'essentiel.

Nouveau rappel à effectuer, et c'est reparti pour un tour. Je reste encore en tête sur un passage mixant quelques pas d'escalade très facile et de la marche sur le dessus. Il faut passer entre deux rochers au sommet ou des arbres ont élu domicile. Mais c'est en mode rando. J'attaque le début d'une redescente derrière, pour trouver le relais. Ce dernier n'est pas forcément confortable. J'aurai du m'arrêter un peu avant, sur le plancher des vaches. Résultat, me voici pendu pour assurer Damien. Ce n'est pas grave, cela me permet de pratiquer en condition plus verticale. Damien fera son apparition rapidement.

Nouveau rappel à s'affranchir. Damien part le premier, et je le suis avec de plus en plus d'aisance dans mes manipulations. A ma grande surprise, j'arrive à faire mes cabestants sans avoir à tourner le bordel dans tous les sens pour y arriver. Derrière, le deuxième passage en 5b de la journée. Autant dire que je ne me ferai pas prier pour laisser Damien y aller en tête. Et je ferais fort bien. Entre le froid de la roche et du versant Nord, couplé au passage un peu patiné et à une fissure où les pieds bien engourdis ont tendance à se coincer, j'aurais pas briller bien loin en tête. C'est déjà bien assez limite en moulinette. Pas de quoi inquiéter Damien cependant.

Au sommet, je lui propose de casser une graine, profitant d'un endroit bien exposé, les naseaux chatouillés par l'odeur du thym, offrant l'inspiration pour un civet au Gigondas. La belle vue offre une terrasse  panoramique et l'estomac commence à crier famine. Damien pose le rappel avant de s'attabler. A quelques jours des fêtes de fin d'année, je nous accorde une petite fantaisie avec un petit sandwich figue/foie gras, dans un pain maison s'il vous plait. Le Mont Ventoux légèrement enneigé se dresse maintenant face à nous, sur l'autre extrémité de l'arête. Nous mangeons en mode contemplatif, alors qu'un groupe de 4 VTTistes s'affaire sur la piste ceinturant le massif. Nous ne nous éterniserons cependant pas, la température n'étant pas non plus caniculaire, et le soleil tombant assez vite à cette saison.

Nous descendons ce nouveau rappel ou il vaut mieux être sûr de son ficelou avant de se pendre au bout de la corde. Derrière, une dernière paroi à franchir. Je reprends la tête sans grande conviction. Rien de trop méchant, mais suffisamment en cette froide journée où toute sensibilité avec le rocher semble avoir disparu. Je tricherais un peu en passant dans une fissure plus facile pour aujourd'hui. Damien, écœurant d'aisance se payera le luxe de passer en baskets. Pour finir, une belle évolution sur l'arête avec des pas de désescalade nécessitant concentration si nous ne voulons pas faire un plongeon de quelques mètres. Je suis en tête, et je crois ce coup ci qu'il en est mieux ainsi. Je prends mon temps, cherchant à chaque fois la meilleure alternative, tout en n'occultant pas la beauté de ce dernier tronçon, offrant une belle vue sur le chemin effectué jusqu'à alors et le panorama nous entourant à 360°. Je me vache au relais suivant, et essaye d'assurer Damien au mieux, sachant que je suis à l'aveugle. Il ne faut pas laisser de mou, tout en ne tendant pas la corde non plus pour ne pas le déséquilibrer sur les passages de descente. Tout le monde arrive à bon port, et il est temps d'enlever tout l'équipement.

Nous cherchons un petit passage un peu plus sportif pour la descente que le sentier habituel qui est déjà très sympa aussi. Nous débouchons sur le sentier Nord, et nous préférons redescendre par le Col du Cayron, histoire de faire une boucle. Nous prenons la piste qui redescend vers Gigondas. Au milieu de celle ci, un nouveau sentier a été ouvert pour éviter la piste monotone. Quelques passages boueux et glissant amène une touche rigolote à cette belle fin de journée. Fort heureusement, personne n'a eu droit au bain de boue. Une piste à plat permet de rejoindre le village tranquillement. Un coup d'oeil dans le rétro, histoire d'admirer une dernière fois ce paysage de carte postale. Nous ne ferons pas un arrêt dégustation dans l'une des nombreuses caves du coin, mais irons bien boire notre habituelle bière chez les parents, où nous débrieferons sur cette journée autour d'un gâteau aux pépites de chocolat en guise de réconfort, avant de reprendre la route du retour.

Ce n'était pas gagné d'avance, il fallait oser faire le déplacement compte tenu du froid annoncé. Mais les braves auront été récompensés cette fois ci. Dame nature nous aura offert d'atteindre notre objectif, sans nous obliger à renoncer. Comble du bonheur, une belle et chatoyante lumière pour profiter du paysage de carte postale. Visibles de loin, ces Dentelles de Montmirail offrent une enclave paradisiaque pour tout pratiquant de sports nature, au milieu de cet océan de vignes. Seul le vent semble pouvoir en altérer la morphologie, au vue des nombreuses cavités creusées par ce dernier au fil du temps. Une bien belle parenthèse avant de s'engouffrer profondément dans l'hiver, mais avec ces réjouissances aussi, de nouvelles activités vont pouvoir s'offrir à nous. Nous avons ainsi conter fleurette avec cette séduisante arête des Florets, pour un flirt sans culpabilité.

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